vendredi 5 novembre 2010

La France aux Français


Au début, en arrivant au Brésil, j'ai voulu me fondre dans la masse, j'ai voulu que personne ne sache que je n'étais pas d'ici.


Un jour, ma colloc portugaise m'a dit "toute une vie ne suffirait pas à te faire ressembler à une brésilienne, je serai toujours plus brésilienne que toi". J'ai eu deux réflexions à ce sujet. Je me suis d'abord demandé si le fait que je m'intéressais beaucoup plus à la politique brésilienne et à l'avenir de ce pays faisait de moi une brésilienne plus authentique qu'elle qui savait adopter les comportements, les attitudes et la langue d'ici avec beaucoup plus d'aisance que moi. Ensuite je me suis dit que je ne voulais plus paraître brésilienne, que ma volonté de m'intégrer n'allait pas jusqu'à ressembler à ces gens, jusqu'à penser comme eux, jusqu'à agir et parler comme eux. Et je me suis rendue compte que j'adorais ce sentiment d'appartenance et que j'étais heureuse d'appartenir à ce pays, la France, que j'étais même heureuse de toutes les contradictions qui y habitaient. Je ne sais pas encore comment exprimer cela. Aimer les contradictions de la France ça veut aussi dire aimer la présence des gens qui lui font du mal. Vue de l'extérieur la profondeur des problèmes français me plaît, c'est comme lorsque quelqu'un me dit : "J'aime bien quand tu t'énerves, ça te donne du caractère". On peut applique la même chose pour un défaut quelconque, une cicatrice sur le visage, un nez cassé, une façon de parler un peu trop fort ... J'ai un peu de mal à dire que j'aime toute cette clique de pseudo hommes politiques, tous ces fascistes qui hantent les rues de Lyon mais j'aime le fait qu'ils nous provoquent, nous la France, et surtout, j'aime ce que, en face, nous créons. J'aime cette résistance qui existe en France et que je ne retrouve pas au Brésil. Alors oui, il y a des choses qui font honte en France mais ce n'est pas la France qui me fait honte. La France, c'est ce qu'on m'a appris dans ma classe de CM1 ou de CM2, entre plein de gamins de la deuxième ou de la troisième génération comme on dit (d'ailleurs, une jeune néo-zélandaise d'origine chinoise m'a appris qu'on disait la même chose dans son pays). Et si je comprends un peu ceux qui veulent la fuir parce qu'ils la trouvent laide, je l'aime parce qu'elle me donne ma place pour y lutter, y vivre et y aimer.


Garder cela en tête, avoir envie de le retrouver et s'ouvrir au reste du monde. J'ai reçu une grosse claque qui m'a enlevé toute ma tristesse. Je n'ai pas encore trouvé tous les mots pour la raconter. Mais mon esprit qui gardait quelques portes fermées s'est un peu plus ouvert. Mais on peut concevoir la vie sans politique, et je n'ai pas à juger cela. J'ai juste à choisir.


lundi 23 août 2010

30 / 31 juillet – Maceió, Alagoas, Brésil


Ce qui me frappe à Maceió, c'est l'expression murale qui foisonne. Entre l'histoire de Zumbi racontée sur une fresque et les injonctions du MEPR, un groupuscule obscure que je ne connais pas. J'apprendrai plus tard qu'il s'agit du Movimento Estudantil Popular Revolucionário. « Não vota, revolução ». Ils parlent de la condition des paysans et de celle des étudiants bien sûr. Belles photos potentielles, belles plages aussi. Mais il pleut.


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Zumbi dos Palmares : Né vers 1655 , Zumbi est un esclave noir dont les parents se sont enfuis pour aller vivre dans le quilombo dos Palmares, un territoire autonome habité et dirigé par des esclaves marrons, des esclaves en fuite (c'est un peu une zone de résistance auto-gérée).


Ce quilombo, qui a donné naissance à ce qui est aujourd'hui une petite ville de l'Alagoas que l'on traverse pour joindre Recife et Aracaju, est un symbole de la résistance noire puisque ce fut la

révolte d'esclaves la plus longue de l'histoire, qui a tenu en échec les Hollandais et les Portugais pendant presque un siècle. En 1678, le gouverneur du Pernambouc (état auquel appartenait alors l'Alagoas) propose aux Marrons de se rendre en échange du pardon portugais, ce qui leur permettrait de reprendre leur vie d'esclave mais sans punition ni exécution. Ni une, ni deux, Zumbi, prend la tête d'une révolution qui durera 15 ans après avoir assassiné, selon les dires, un chef de guerre qui avait accepté de se rendre. Le courage, l'esprit stratège de Zumbi et les rumeurs sur les orixas qui l'habiteraient n'ont pas suffit à le sauver. Après un assaut ravageur des Portugais sur le quilombo, il est obligé de s'enfuir dans la jungle. Il y mourra au combat le 20 novembre 1695.

http://www.brasilcultura.com.br/cultura/consciencia-negra-2009/

Ce jour est devenu jour de la conscience noire au Brésil.


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Quelques affiches collées aux cabines téléphoniques et aux murs pour des buzios et des cartas. Toujours ces deux mots qui me suivent. Je remarque en arrivant en car, rua de Uruguai, une « congregação espirita ».


Je me suis sentie moins en sécurité qu'à Aracaju. Il y a plus de monde ici. Des favelas dans les hauteurs un peu vallonnées en allant vers la gare routière. Mais ce sentiment d'insécurité est plus dû à la femme qui est montée avec nous dans le taxi et qui a dit à Julie de cacher son appareil photo, nous a demandé l'air préoccupé comment nous allions nous en sortir sans connaître le centre puis nous a souhaité bonne chance en sortant du taxi. Mais il ne s'est rien passé. Je ne sais pas si c'est de la psychose qui règne au sein des classes moyennes ou si nous avons eu beaucoup de chance.



Photo de Julie, la Favela vue du pont qui mène à la Gare routière


Il faisait trop froid pour se baigner, un ciel couvert, beaucoup de vent. Promenade sur la plage, puis dans le centre. On monte en bus à la rodoviaria pour connaître les horaires pour Recife, le lendemain. On redescend à pied pendant un moment. On traverse un pont au dessus d'une favela. Julie fait quelques photos. Je ressemble à Alizée dans « Moi Lolita » et Diego se moque de mon côté de gauche.


« Une vie sans lutte sociale ne vaut pas la peine d'être vécue. »

« Si Clément me voyait dans la favela, il serait fier de moi. »


Il doit se douter qu'il y a une part de vrai là dedans, mais ça me va finalement. Et j'aimerais bien retrouver le côté engagé de Maceió à Aracaju. Et créer un CCRASS à l'UFS.


samedi 7 août 2010

23/24 juillet 2010, Salvador da Bahia


Du coup, avec Zulmira, on est allés à la messe … pas vraiment mon truc, je dois l'avouer. J'ai quand même été touchée par la montée en puissance de la chose. On arrive alors que le culte a déjà commencé. Des femmes voilées de blanc parlent dans un micro près du prêtre. Je ne comprends pas vraiment ce qu'elles disent mis à part quelques « Gloria a Deus ». Le prêtre / pasteur … je ne sais pas vraiment comment l'appeler, prend la parole d'une voix presque éteinte et commence à parler. Depuis le fond de la salle, on n'entend rien. Sa voix prend de l'ampleur au fur et à mesure de son sermon. Il finit par hurler « Gloria a Deus ! ». Puis chacun ouvre son livre pour chanter quelques prières. C'est plutôt joli finalement mais je n'accroche pas plus que ça. Je crois que je n'ai pas la révélation tant attendue par Zulmira.


Sortie de l'Eglise, l'intérieur est blanc et très sobre, quelques ventilateurs et des bancs en bois comme seul mobilier.


L'après-midi même, Edison nous amène dans une maison en construction où travaillent, sous la pluie, quelques hommes. Des jeunes filles font la cuisine. Je croise mon premier travesti au Brésil. Finalement, le mythe n'est pas si fictif que ça. Edison nous présente à un jeune homme, ce dernier nous fait visiter ce qui en réalité, est un terreiro – c'est l'endroit où sont pratiquées les cérémonies de Condomblé. Salvador en compte apparemment un certain nombre. Il nous explique les figurines des Orixas accrochés en hauteur ; Iémanja, orixa de la mer, Exu, le premier des orixas … Je ne mémorise pas tout.


La cérémonie a lieu le lendemain. Je suis impressionnée par cette intensité. Elle se fait en musique, les participants dansent en cercle. Lorsque la musique s'accélère, ils ont un mouvement qui me surprend, ils feignent de se poignarder le côté gauche du ventre. Certains finissent par rentrer en transe, d'autres doivent les porter pour qu'ils continuent à défiler. Il y en a qui s'agenouillent et se prosternent au sol. Ils sont presque tous en blanc, certains conservent leurs chaussures, d'autres sont pieds nus, d'autres encore sont restés en jean et t-shirt. La plupart porte des colliers de perles qui, je crois, sont aux couleurs des orixas, les blancs et bleus pour Iémanja par exemple. Leurs colliers sont embellis de coquillages.


La photo est de Julie, je n'ai pas osé sortir l'appareil pendant la cérémonie.


Perles de couleurs, coquillages, percutions. J'ai une folle envie d'en savoir plus et d'étudier ça. Quelques lectures vont suivre et permettront peut-être de rendre ces lignes un peu plus didactiques.


Je me pose des questions sur la population qui participe au Condomblé. Ils ont tous l'air jeune. Edison nous avait dit que c'était un truc de gay ou de gillette (entendre bisexuel, parce qu'un rasoir, ça coupe des deux côtés). J'ai du mal à cerner comment nait cette spiritualité. Elle a l'air mal considérée par ceux qui n'en sont pas adeptes. Surtout les évangélistes … Edison quant à lui est témoins de Jéhovah. Il a refusé d'entrer dans le terreiro. É chato (c'est chiant) ! dit-il. Je me demande si c'est vraiment la seule raison.


Quoiqu'il en soit, je retrouve des similitudes entre les deux expressions religieuses que j'ai vu ces derniers jours. La religion ici est acte collectif, elle crée du lien. Elle s'exprime de manière artistique à chaque fois, entre chants et danses. Mais j'avoue que, alors que l'évangélisme m'inquiète et me paraît austère, le Condomblé, sa poésie et l'imaginaire qu'il charrie me séduisent et abreuvent de leur saveur ma curiosité.



vendredi 6 août 2010

22/07/2010 – Itacaranha, Salvador da Bahia, Brésil



Je loge chez Zulmira, la mère d'une Brésilienne rencontrée par Julie et Diego à Franckfort. Zulmira est un peu mystique. Elle a déjà vu Diego dans sa tête avant qu'il n'arrive, il descendait du ciel avec des ailes d'ange. Julie, elle, va se noyer si elle prend le bus avec un chapeau noir sur la tête, Zulmira le sait, elle l'a vu en rêve. Quant à moi, elle me connait moins bien et est moins bavarde mais je suis « sábia » (Zulmira connait-elle le grec ?) et elle m'a déjà vu, dans une autre vie peut-être, elle connait mon visage.







Ici, la terre est rouge et le vert foisonne.








C'est incroyable, le Brésil t'accueille à bras ouverts. Mon arrivée ne s'est pas faite en douceur, dans la torpeur habituelle des premiers jours de voyage. A peine quelques minutes après avoir posé le pied sur le sol bahianais, je bois déjà une água de côco avec un vieux monsieur noir qui me raconte ses années passées. Rubens, était chauffeur de taxi à l'époque. Quelques minutes encore et j'avale toutes les couleurs qui défilent par la fenêtre de sa voiture. Trente ans comme chauffeur et il ne sait pas conduire, ça va trop vite, c'est agréable. La première image que je me fais du Brésil, des routes bordées par des couleurs que j'absorbe. A moins que ce ne soient elles qui me dévorent.



Paripe, Salvador


Le Brésil est anthropophage m'avait-on prévenu. Le Brésil dévore.


Le mouvement anthropophage était une manifestation artistique brésilienne des années 20. Basé sur le Manifeste anthropophage écrit par Oswald de Andrade, le mouvement anthropophage (cannibalisme) brésilien avait comme objectif la déglutition de la culture de l'étranger, de celle des amérindiens, des afrodescendants et des eurodescendants. On ne doit pas nier la culture étrangère mais elle ne doit pas être imitée. On absorbe et on déglutit la culture métissée.


Julie est malade, Zulmira lui fait boire une infusion de laurier. Elle est très prévenante avec nous. Elle cerne vite les caractères je crois. Moi j'ai l'air douce mais au fond « papapá » (exclamation accompagnée de coups de poings dans le vide). Quelque chose comme ça. J'ai l'impression que les Brésiliens aiment connaître les gens. En profondeur. Quel est ton signe astrologique, est-ce que tu aimes ça ? Ils t'écoutent vraiment, au fond. Et ne sont pas en train de discuter avec toi pour passer le temps ou multiplier les connaissances mais pour découvrir l'altérité, ce qui est différent chez toi. Ce n'est pas une généralité, bien sûr, et j'imagine qu'il y a des limites – au niveau religieux notamment. Mais ça reste agréable qu'on cherche à savoir qui tu es.


Hier soir, nous sommes allés voir le groupe d'Elberte – un ami d'Edison, un ami du petit fils de Zulmira que je ne connais pas – répéter dans un petit studio du centre de Salvador près du Pelourinho. C'est beau, vieille architecture coloniale, pleine de couleur. Le rose, le vert, le jaune se mêlent dans craindre le mauvais goût. Je n'en ai pas vu tout l'éclat, le soleil se couche à 18h tous les jours. Un peu trop carte postale au final ? Je crois que je préfère l'animation des rues des quartiers de la banlieue.


Les gens nous aiment bien, « gosto muito de vôces três ». Il n'hésitent pas à le dire. Je ne sais pas encore quels mots utiliser pour leur dire que je ne peux que les apprécier et que tout ce que je vois me touche.


Zulmira chante, viens m'allumer la lumière. « Obrigada ». Ce n'est pas pour être remerciée que je fais ça, c'est pour Dieu le père. Je souris. Zulmira est évangéliste. Elle parle de Dieu souvent, en pleure parfois. Elle a peur de l'endroit où elle vit, elle est seule avec sa fille, elle n'aime pas qu'il n'y ait personne près d'elle quand elle dort. Diego m'a dit qu'elle avait eu 5 maris et 21 hommes au total dans sa vie. Elle me parle facilement de sexualité. L'une de ses filles « aime trop ça » ce qui la rend instable. Un peu compliqué de tout comprendre lorsqu'elle me parle. Mais aujourd'hui elle est trop vieille pour se remarier et elle préfère rester seule. Elle parle avec une voix basse et un peu trainante.





La terre est rouge, tout s'assombrit, le ciel est bleu gris. La nuit tombe. Il est 17h30.


Edison a une très jolie voix, grave. Il est grand, élancé, la peau très sombre.


Nous sommes allés nous promener avec Diego. J'étais restée avec lui et Zulmira pendant qu'Edison et Julie faisaient les courses parce qu'elle nous a expliqué que sa congrégation n'acceptait pas qu'un homme reste seul avec une femme à l'intérieur.

Nous avons trouvé l'océan. J'ai pensé que son contact était différent. Depuis l'Europe, l'Atlantique a le goût des explorateurs. Depuis le Brésil, c'est le goût de la nostalgie. Mais il reste l'Afrique. Quelques photos sous un ciel gris puis des enfants qui se cachent devant les gringos, qui rient. On leur parle un peu, le langage universel « jogamos futebol ? ». Ils courent chercher le ballon et pieds nus, en pleine rue, à côté des ordures qui jonchent le sol entre les rails de train et les maisons défraichies, Diego joue avec eux. Moi je regarde, je prends des photos, je souris.




Edison ne rentre chez lui que pour dormir. Sinon, il reste toute la journée chez Zulmira ou avec nous. Je ne sais pas s'ils sont de la même Eglise (en fait, lui est témoin de Jéhovah). Nous avons un peu parlé de religions. « Tenho uma espiritualidade mas não acredito em Deus ». Maintenant, Zulmira veut moi aussi m'emmener au culto na Igreja.


On me dévisage dans la rue et moi même je dévisage ceux qui sont trop blancs de peau.




Et Iemanjá a du chagrin




21/07/2010 – Aéroport de Rio de Janeiro, Brésil


Je suis seule dans l'aéroport d'une ville dont je ne connais pas la langue, à 10 000 kilomètres de chez moi et je n'ai même pas peur ! En réalité, je ne suis pas encore dépaysée. Quelques sommets découpés abruptement derrière la grande baie vitrée du terminal et la silhouette d'un oiseau que je ne connais pas. Cela me fait rire.

Comme je n'ai pas peur, je ris un peu de tout, de ne pas réussir à dire ce que j'aimerais dire. Ca ne fait que commencer. 10 000 kilomètres mais je ne suis pas encore vraiment loin. Dans ces cas là, la distance c'est le temps. Les au-revoir n'ont pas été si durs, quelques larmes mais beaucoup de joie à dire qu'on aime, qu'on voyage. C'est un réflexe de ne pas trop réfléchir au bouleversement qui s'annonce pour le vivre pleinement et avec joie. Quand tu aimes il faut partir. Cendrars enfin se concrétise. J'ai dans la tête des images de vert et d'or quand je pense à ce qui m'attend.


Au passage, voici Roupinette, petite poupée russe, compagne de mes aventures. C'est peut-être grâce à elle que le grand aéroport de Rio ne me fait pas peur.


jeudi 5 août 2010

Départ


Un départ au Brésil. Le choix peut-être un peu erroné, pas la vraie trajectoire, pas la bonne langue. Mais quelques notes, toujours les mêmes. Tira cartas joga buzios. Quelques larmes avant le départ. Não fique triste eu vou voltar.