Je loge chez Zulmira, la mère d'une Brésilienne rencontrée par Julie et Diego à Franckfort. Zulmira est un peu mystique. Elle a déjà vu Diego dans sa tête avant qu'il n'arrive, il descendait du ciel avec des ailes d'ange. Julie, elle, va se noyer si elle prend le bus avec un chapeau noir sur la tête, Zulmira le sait, elle l'a vu en rêve. Quant à moi, elle me connait moins bien et est moins bavarde mais je suis « sábia » (Zulmira connait-elle le grec ?) et elle m'a déjà vu, dans une autre vie peut-être, elle connait mon visage.
Ici, la terre est rouge et le vert foisonne.
C'est incroyable, le Brésil t'accueille à bras ouverts. Mon arrivée ne s'est pas faite en douceur, dans la torpeur habituelle des premiers jours de voyage. A peine quelques minutes après avoir posé le pied sur le sol bahianais, je bois déjà une água de côco avec un vieux monsieur noir qui me raconte ses années passées. Rubens, était chauffeur de taxi à l'époque. Quelques minutes encore et j'avale toutes les couleurs qui défilent par la fenêtre de sa voiture. Trente ans comme chauffeur et il ne sait pas conduire, ça va trop vite, c'est agréable. La première image que je me fais du Brésil, des routes bordées par des couleurs que j'absorbe. A moins que ce ne soient elles qui me dévorent.
Paripe, Salvador
Le Brésil est anthropophage m'avait-on prévenu. Le Brésil dévore.
Le mouvement anthropophage était une manifestation artistique brésilienne des années 20. Basé sur le Manifeste anthropophage écrit par Oswald de Andrade, le mouvement anthropophage (cannibalisme) brésilien avait comme objectif la déglutition de la culture de l'étranger, de celle des amérindiens, des afrodescendants et des eurodescendants. On ne doit pas nier la culture étrangère mais elle ne doit pas être imitée. On absorbe et on déglutit la culture métissée.
Julie est malade, Zulmira lui fait boire une infusion de laurier. Elle est très prévenante avec nous. Elle cerne vite les caractères je crois. Moi j'ai l'air douce mais au fond « papapá » (exclamation accompagnée de coups de poings dans le vide). Quelque chose comme ça. J'ai l'impression que les Brésiliens aiment connaître les gens. En profondeur. Quel est ton signe astrologique, est-ce que tu aimes ça ? Ils t'écoutent vraiment, au fond. Et ne sont pas en train de discuter avec toi pour passer le temps ou multiplier les connaissances mais pour découvrir l'altérité, ce qui est différent chez toi. Ce n'est pas une généralité, bien sûr, et j'imagine qu'il y a des limites – au niveau religieux notamment. Mais ça reste agréable qu'on cherche à savoir qui tu es.
Hier soir, nous sommes allés voir le groupe d'Elberte – un ami d'Edison, un ami du petit fils de Zulmira que je ne connais pas – répéter dans un petit studio du centre de Salvador près du Pelourinho. C'est beau, vieille architecture coloniale, pleine de couleur. Le rose, le vert, le jaune se mêlent dans craindre le mauvais goût. Je n'en ai pas vu tout l'éclat, le soleil se couche à 18h tous les jours. Un peu trop carte postale au final ? Je crois que je préfère l'animation des rues des quartiers de la banlieue.
Les gens nous aiment bien, « gosto muito de vôces três ». Il n'hésitent pas à le dire. Je ne sais pas encore quels mots utiliser pour leur dire que je ne peux que les apprécier et que tout ce que je vois me touche.
Zulmira chante, viens m'allumer la lumière. « Obrigada ». Ce n'est pas pour être remerciée que je fais ça, c'est pour Dieu le père. Je souris. Zulmira est évangéliste. Elle parle de Dieu souvent, en pleure parfois. Elle a peur de l'endroit où elle vit, elle est seule avec sa fille, elle n'aime pas qu'il n'y ait personne près d'elle quand elle dort. Diego m'a dit qu'elle avait eu 5 maris et 21 hommes au total dans sa vie. Elle me parle facilement de sexualité. L'une de ses filles « aime trop ça » ce qui la rend instable. Un peu compliqué de tout comprendre lorsqu'elle me parle. Mais aujourd'hui elle est trop vieille pour se remarier et elle préfère rester seule. Elle parle avec une voix basse et un peu trainante.
La terre est rouge, tout s'assombrit, le ciel est bleu gris. La nuit tombe. Il est 17h30.
Edison a une très jolie voix, grave. Il est grand, élancé, la peau très sombre.
Nous sommes allés nous promener avec Diego. J'étais restée avec lui et Zulmira pendant qu'Edison et Julie faisaient les courses parce qu'elle nous a expliqué que sa congrégation n'acceptait pas qu'un homme reste seul avec une femme à l'intérieur.
Nous avons trouvé l'océan. J'ai pensé que son contact était différent. Depuis l'Europe, l'Atlantique a le goût des explorateurs. Depuis le Brésil, c'est le goût de la nostalgie. Mais il reste l'Afrique. Quelques photos sous un ciel gris puis des enfants qui se cachent devant les gringos, qui rient. On leur parle un peu, le langage universel « jogamos futebol ? ». Ils courent chercher le ballon et pieds nus, en pleine rue, à côté des ordures qui jonchent le sol entre les rails de train et les maisons défraichies, Diego joue avec eux. Moi je regarde, je prends des photos, je souris.
Edison ne rentre chez lui que pour dormir. Sinon, il reste toute la journée chez Zulmira ou avec nous. Je ne sais pas s'ils sont de la même Eglise (en fait, lui est témoin de Jéhovah). Nous avons un peu parlé de religions. « Tenho uma espiritualidade mas não acredito em Deus ». Maintenant, Zulmira veut moi aussi m'emmener au culto na Igreja.
On me dévisage dans la rue et moi même je dévisage ceux qui sont trop blancs de peau.
Et Iemanjá a du chagrin